Par cet article, j’ai souhaité réaliser une synthèse du manifeste de T. Kaczynski. Ce dernier étant déjà d’une certaine manière une synthèse, très dense, j’ai nécessairement dû faire des choix subjectifs quant aux éléments choisis. Pour approfondir ce sujet, je ne peux donc que vous enjoindre à lire le manifeste en entier (présent sur la plate-forme en format PDF).
Le manifeste de T. Kaczynski est une thèse à charge envers la société industrielle et son avenir ; elle débute par cette assertion :
« La Révolution Industrielle et ses conséquences ont été un désastre pour la race humaine. »
Elle a :
– déstabilisé la société,
– rendu la vie peu satisfaisante,
– soumis les êtres humains à des indignités,
– conduit à des souffrances psychologiques (voire physiques) généralisées,
– infligé des dégâts sévères au monde naturel.
Par ailleurs selon lui, « La poursuite du développement de la technologie empirera la situation. »
L’auteur préconise donc une révolution contre le système industriel, dont l’objet sera de renverser non des gouvernements, mais la base économique et technologique de la société actuelle.
Selon lui, une des manifestations les plus répandues de la folie de notre monde est ce qu’il décrit comme « la psychologie du gauchisme » (et non nécessairement du gauchiste). Il en décrit deux principales tendances : le sentiment d’infériorité et la sursocialisation.
Au sentiment d’infériorité il associe également le manque d’amour-propre, le sentiment d’impuissance, les tendances dépressives, le défaitisme, la culpabilité, la haine de soi, etc.
Il donne l’exemple de la défense des droits des minorités en faisant remarquer que les défenseurs de ces droits ne font que projeter leur propre sentiment d’infériorité et d’impuissance sur des catégories de la population auxquelles ils n’appartiennent la plupart du temps pas.
Il fait également remarquer que ce sentiment d’infériorité s’accompagne d’une incapacité à considérer des choses comme fructueuses et supérieures et d’autres comme ratées ou inférieures.
Il note également une tendance à ne pas pouvoir considérer l’individu comme fort et ayant sa propre valeur, d’où une propension pour le collectivisme. Comme si l’individu ne pouvait se sentir fort seulement en tant que membre d’une grande organisation ou d’un mouvement de masse auquel il s’identifie.
Selon lui, la compassion ou la défense des principes moraux ne sont pas les motifs principaux de l’activisme gauchiste. Cet activisme, teinté de beaucoup d’émotionnel, exprimerait en réalité un besoin frustré de puissance.
Il décrit par ailleurs la sursocialisation comme le fait de penser, ressentir, agir de manière excessivement morale, tandis que cette morale ne correspond pas à la nature humaine. S’en suit un conflit entre notre nature et la manière dont nous nous contraignons excessivement en société (sexualité, violence, etc.)
Il ajoute que « la socialisation n’est pas seulement une question de morale […] la personne sursocialisée est tenue par une laisse psychologique et passe sa vie sur des rails que la société a fixés pour elle. » Il suggère que « la sursocialisation est parmi les plus sérieuses cruautés que les êtres humains infligent à d’autres. » Elle s’opère dès l’enfance en créant notamment un sentiment de honte dès que l’enfant agit ou s’exprime à contre-courant de ce qui est attendu de lui. L’adulte a ensuite intégré ce sentiment.
Il donne ensuite plusieurs « combats » propres à la psychologie du gauchisme : l’égalité raciale, l’égalité des sexes, aider les pauvres, la paix par opposition à la guerre, la non-violence en général, la liberté d’expression, la bonté envers les animaux. Plus fondamentalement, le devoir qu’a l’individu de servir la société et le devoir qu’a la société de s’occuper de l’individu.
Tous ces combats, malgré les apparences, n’ont pas selon lui une origine altruiste. Ils contribuent en revanche à créer des conditions propres à faire fonctionner toujours plus efficacement le système industrialo-technologique.
Il conclut cette première partie en faisant remarquer que cette « psychologie du gauchisme » est répandue dans l’ensemble de la société actuelle d’une part, et que cette dernière essaye de nous socialiser dans une mesure plus grande que n’importe quelle société précédente d’autre part (tous ces experts qui nous expliquent comment manger, être en bonne santé, baiser, élever les enfants, etc.)
Il introduit ensuite ce qui nous semble être le concept central de sa thèse : le processus de pouvoir (à ne pas confondre avec le besoin de pouvoir). Il comporte quatre éléments : les trois les plus nettement définis sont le but, l’effort et l’atteinte du but ; le quatrième concerne l’autonomie.
Le non accomplissement de buts importants aboutit à la mort si les buts sont des nécessités physiques et à la frustration si le non accomplissement des buts est compatible avec la survie.
Quand les gens n’ont pas besoin de se donner du mal pour satisfaire leurs besoins physiques, ils se donnent souvent des buts artificiels, réalisés à l’aide d’activités de substitution.
« Voici un principe de base pour l’identification d’activités de substitution. Étant donné une personne qui consacre beaucoup de temps et d’énergie à la poursuite d’un but X, demandez-vous ceci : s’il devait consacrer la plus grande partie de son temps et de son énergie à la satisfaction de ses besoins biologiques et si cet effort lui demandait d’utiliser ses capacités physiques et mentales d’une façon variée et intéressante, se sentirait-il sérieusement privé parce qu’il n’a pas atteint le but X ? Si la réponse est non, alors la poursuite du but X par cette personne est une activité de substitution. »
Il souligne que dans la société industrielle moderne, seul un effort minimal (souvent l’obéissance) est nécessaire pour satisfaire ses besoins physiques, d’où la multiplicité d’activités de substitution auxquelles nous nous adonnons (travail scientifique, accomplissement sportif, travail humanitaire, création artistique et littéraire, grimper l’échelle hiérarchique, acquisition d’argent et de biens matériels très au-delà du point auquel ils cessent de donner aucune satisfaction physique complémentaire, activisme social, etc.)
Ce qui est plus important, dans notre société les gens ne satisfont pas leurs besoins biologiques de façon AUTONOME, mais en fonctionnant comme les parties d’une machine sociale immense. Au contraire, les gens ont généralement beaucoup d’autonomie dans la poursuite de leurs activités de substitution.
L’auteur pense que les gens ont besoin d’un degré plus ou moins grand d’autonomie : leurs efforts doivent être entrepris de leur propre initiative et doivent être sous leur propre direction et contrôle. Malgré tout, la plupart des personnes n’ont pas besoin de manifester cette initiative, direction et contrôle en tant qu’individus uniques. Il est d’habitude suffisant d’agir comme membre d’un PETIT groupe afin que le processus de pouvoir soit accompli.
Il souligne que quand on n’a pas d’occasion adéquate d’accomplir le processus de pouvoir, les conséquences en sont (suivant l’individu et la façon dont le processus de pouvoir est perturbé) : l’ennui, la démoralisation, la mauvaise opinion de soi, le sentiment d’infériorité, le défaitisme, la dépression, l’inquiétude, la culpabilité, la frustration, l’hostilité, les mauvais traitements au conjoint ou aux enfants, l’hédonisme insatiable, le comportement sexuel anormal, les troubles du sommeil, les désordres alimentaires, etc.
Pour beaucoup ou la plupart des gens au cours de la plus grande part de l’histoire humaine, les buts d’une existence chiche (fournissant simplement à soi et sa famille la nourriture quotidienne) ont été tout à fait suffisants.
L’auteur fait aussi remarquer que ces problèmes peuvent se présenter dans n’importe quelle société mais que dans la société industrielle moderne ils sont présents à une échelle massive.Par ailleurs, qu’il y a de bonnes raisons de croire que l’homme primitif subissait moins de stress et de frustrations et était plus satisfait de son mode de vie que l’homme moderne.
Il attribue les problèmes sociaux et psychologiques de la société moderne au fait que la société exige que les gens vivent dans des conditions radicalement différentes de celles dans lesquelles la race humaine s’est développée et se comportent de façons qui sont en conflit avec les modèles de comportement que la race humaine a développés en vivant dans les conditions précédentes. Il apparaît clairement que le manque d’occasion de faire correctement l’expérience du processus de pouvoir soit la plus importante des conditions anormales auxquelles la société moderne soumet les gens.
Il ajoute à cela l’excessive densité de population, l’isolement de l’Homme de la nature, la rapidité excessive des changements sociaux et l’effondrement des communautés naturelles à petite échelle (famille étendue, tribu…)
Il fait également remarquer qu’une société technologique DOIT affaiblir les liens familiaux et les communautés locales pour fonctionner efficacement. Dans la société moderne la loyauté d’un individu doit aller d’abord au système et seulement ensuite à une communauté à petite échelle, parce que si les loyautés internes des communautés à petite échelle étaient plus fortes que la loyauté au système, ces communautés rechercheraient leur propre avantage aux dépens du système.
Il ajoute que tout cela est accentué par le fait que l’homme moderne a le sentiment (en grande partie justifiée) que ces changements lui sont IMPOSÉS. Il réitère ainsi que le plus gros problème consiste dans le fait que, dans la société moderne, la perturbation du processus de pouvoir est particulièrement aigue. Ni les activités de substitution (jamais entièrement satisfaisantes), ni l’auto-entreprenariat (trop de règlementation), ni l’engagement politique (seule une partie infime de la population possède un réel pouvoir sur les décisions vraiment importantes) ne suffisent à réaliser le processus de pouvoir pleinement.
L’existentialisme, la « crise de la quarantaine », le manque d’intérêt à avoir des enfants sont selon lui autant de symptômes montrant la perturbation du processus de pouvoir. Il compare cela aux sociétés primitives où la vie est une succession d’étapes ritualisées où l’on passe de l’une à l’autre naturellement et sans regret, jusqu’à accepter finalement la vieillesse et la mort comme une nouvelle étape naturelle et donc non angoissante.
Il enchaîne ensuite en définissant selon lui le concept de liberté comme « l’occasion d’accomplir le processus de pouvoir, avec des buts réels et non les buts artificiels d’activités de substitution, et sans interférence, manipulation ou supervision de qui que ce soit, particulièrement d’aucune grande organisation. » La liberté veut dire avoir le contrôle (en tant qu’individu ou membre d’un PETIT groupe) des questions vitales de son existence : l’alimentation, les vêtements, le couvert et la défense contre toutes les menaces qui peuvent être présentes dans son environnement. La liberté veut dire avoir le pouvoir ; pas le pouvoir de contrôler d’autres personnes mais le pouvoir de contrôler les circonstances de sa propre vie.
Par ailleurs, l’auteur considère que la société industrialo-technologique ne peut pas être réformée, dans la mesure où tout changement conçu pour protéger la liberté des effets de la technologie irait à l’encontre d’une tendance fondamentale dans le développement de cette société et perturberait gravement le système. Les réformes acceptées par le système le sont donc dans la mesure où elle ne perturbe justement pas sa tendance générale, tendance qui aura nécessairement un coût toujours plus élevé en termes de liberté individuelle et d’autonomie locale.
« Le système DOIT réguler étroitement le comportement humain pour fonctionner. Au travail, les gens doivent faire ce que l’on leur dit de faire, sinon la production deviendrait un chaos. La bureaucratie DOIT être menée selon des règles rigides. […] Le système DOIT forcer les gens à se comporter de façons qui sont de plus en plus éloignées du modèle naturel de comportement humain. […] Dans toute société technologiquement avancée le destin de l’individu DOIT dépendre de décisions qu’il ne peut personnellement influencer significativement. […] Une telle société DOIT être fortement organisée et les décisions qui DOIVENT être prises affectent de très grands nombres des gens. »
Ainsi la plupart des individus sont incapables d’influencer de façon mesurable les décisions majeures qui affectent leurs vies. Il n’y a pas de façon concevable d’y remédier dans une société technologiquement avancée. Le système essaye “de résoudre” ce problème en utilisant la propagande pour amener les gens à VOULOIR les décisions qui ont été prises pour eux.
Le système n’existe pas et ne peut pas exister pour satisfaire les besoins humains. Au contraire, c’est le comportement humain qui doit être modifié pour s’adapter aux besoins du système. Cela n’a aucun rapport avec l’idéologie politique ou sociale qui prétend guider le système technologique. C’est la faute de la technologie, parce que le système est guidé non par l’idéologie, mais par les nécessités techniques.
L’auteur insiste donc sur le fait que la société industrielle ne peut pas être réformée en faveur de la liberté car la technologie moderne est un système unifié dans lequel toutes les parties dépendent l’une de l’autre. On ne peut pas se débarrasser des “mauvais” aspects de la technologie et conserver seulement les “bons” aspects.
Il évoque ensuite les conséquences du développement du génie génétique. « Si vous pensez que le grand gouvernement s’immisce de trop dans votre vie MAINTENANT, attendez seulement que le gouvernement ne commence à réguler la composition génétique de vos enfants. » Selon lui, aucun « code de déontologie » ne permettra d’encadrer le développement de cette science, au vu de ce que cela apportera au système (et accessoirement à l’humain, en tout cas en apparence).
Toute la difficulté réside dans le fait que « tandis que le progrès technologique COMME UN TOUT restreint continuellement notre sphère de liberté, chaque nouvelle avancée technologique CONSIDÉRÉE ISOLÉMENT semble désirable. » Aucun compromis ne peut donc être réalisé envers la technologie selon l’auteur.
L’auteur poursuit ensuite en traitant de l’éducation et des technologies de surveillance, en montrant que le contrôle du comportement humain ne cesse de devenir plus important. Il rappelle encore à cette occasion l’immense danger du développement du génie génétique…
Or, « Notre société a tendance à considérer comme “une maladie” tout mode de pensée ou de comportement qui est incommode pour le système et ceci est plausible parce que quand un individu ne s’insère pas dans le système cela cause une douleur à l’individu ainsi que des problèmes pour le système. Ainsi la manipulation d’un individu pour l’adapter au système est vue comme “un remède” à “une maladie” et donc comme bénéfique. »
Pour conclure, l’auteur pense cependant que le système est actuellement engagé dans une lutte désespérée pour surmonter certains problèmes qui menacent sa survie, parmi lesquels les problèmes de comportement humain sont les plus importants. Et que s’il échoue dans ce domaine, il s’écroulera probablement dans les décennies à venir. Il ne s’écroulera sûrement pas complètement cependant, et il faudra alors selon lui être très vigilant à n’avoir aucune compassion envers ce dernier, et lui donner le coup de grâce. Avant cela, et en espérant que les problèmes internes du système soient suffisants, l’auteur propose une stratégie double : aider à l’intensification des troubles sociaux et diffuser une idéologie qui s’oppose au système industriel et à la technologie. Il insiste sur le fait que cela doit être le seul objectif des révolutionnaires (et non d’autres buts apparemment louables).
En conclusion personnelle, la lecture de ce manifeste, en plus de donner une base à partir de laquelle élaborer sa propre réflexion intellectuelle sur les sujets traités, me semble également parler au cœur et aux tripes. Un vent de liberté émane de ce texte, le même que tout un chacun peut sentir lorsqu’il réalise le processus de pouvoir au passage… Pour ma part, il a été le coup de pouce grâce auquel je vais désormais consacré concrètement ma vie à mon réensauvagement. Même si je compte pour cela me former le plus vite possible aux techniques anciennes de (sur)vie, cela va également commencer quotidiennement par une vigilance accrue concernant ma domestication psychologique (et les actions ou non-actions qui en découlent). Car mon point de vue personnel est le fait que devenu adulte, je suis avant tout mon propre geôlier, le premier responsable de ma domestication. Tout commence donc par un acte de rébellion, mais avant tout un acte de rébellion (urgent) face à ma propre complaisance au fait d’être devenu domestiqué.
Mathieu
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