Henry David Thoreau

Henry David Thoreau (de son vrai nom David Henry Thoreau) est un philosophe, naturaliste et poète américain, né le 12 juillet 1817 à Concord (Massachusetts), où il est mort le 6 mai 1862.

Son œuvre majeure, Walden ou la Vie dans les bois, est une réflexion sur l’économie, la nature et la vie simple menée à l’écart de la société, écrite lors d’une retraite dans une cabane qu’il s’était construite au bord d’un lac. Son essai La Désobéissance civile, qui témoigne d’une opposition personnelle face aux autorités esclavagistes de l’époque, a inspiré des actions collectives menées par Gandhi et Martin Luther King Jr. contre la ségrégation raciale.

Thoreau abhorre l’esclavage des noirs, qui démontre selon lui que le christianisme qui prévaut officiellement n’est que superstition, et que les politiciens ne sont pas motivés par des « lois élevées ». Il envisage une réforme morale de la société par la non-collaboration aux injustices des gouvernements, comme prônée par son contemporain abolitionniste William Lloyd Garrison, mais il reste presque toujours à l’écart de toute activité et organisation sociale, quelle qu’elle soit. Après la tentative ratée de John Brown pour lancer une insurrection en faveur de l’abolition, Thoreau le considère comme un sauveur et lui exprime publiquement son appui. Il s’est donc retrouvé à la fin de sa vie, à l’aube de la Guerre civile américaine, en accord avec l’opinion publique de plus en plus commune qui commençait à croire à l’abolition de l’esclavage par la force brute, et ce sans s’impliquer pour autant davantage lui-même.

Surnommé le « poète-naturaliste » par son ami William Ellery Channing (1818-1901), Thoreau est fasciné par les phénomènes naturels et les formes de vie, notamment la botanique, et il consigne dans son journal, qui couvre plus d’une vingtaine d’années, ses observations détaillées et les sentiments personnels qu’elles font naître en lui. Il adoptait avec les années une approche de plus en plus systématique, scientifique, et celui qui était arpenteur à ses heures a pu aussi inventer, un peu, la foresterie et l’écologie. L’amour et le respect de la nature qu’il transmet sont devenus, à mesure que son œuvre a été publiée et connue, une source d’inspiration constante pour des naturalistes amateurs et des écologistes ; tout autant que ses idées économiques et politiques intéressent des activistes sociaux et des adeptes de la simplicité volontaire.

Œuvre

L’ensemble des articles, essais, journaux et poésies de Thoreau comprend vingt volumes. En excluant le journal, qui couvre 24 années et traite de l’ensemble de ses préoccupations, l’œuvre de Thoreau comprend deux grands groupes d’écrits : essais politiques et moraux, et récits de voyage comprenant des éléments autobiographiques et empreint d’une tendance naturaliste. Certaines œuvres de Thoreau ont été particulièrement célèbres, et sont révélatrices de sa pensée et de son style.

Souvent abrégé en Walden, le récit Walden ou la Vie dans les bois (Walden or Life in the Woods) est l’œuvre majeure de Thoreau, celle que le public retient continuellement. Traduit par Louis Fabulet, par l’entremise d’André Gide, ce n’est ni un roman ni une véritable autobiographie mais une critique du monde occidental, le récit d’un « voyageur immobile » narrant sa « révolte solitaire ». Pour Kathryn VanSpanckeren, Walden est « un guide de vie selon l’idéal classique. Mêlant poésie et philosophie, ce long essai met le lecteur au défi de se pencher sur sa vie et de la vivre dans l’authenticité. La construction de la cabane, décrite en détail, n’est qu’une métaphore illustrant l’édification attentive de l’âme », modèle du caractère américain.

Fin 1844, le philosophe Ralph Waldo Emerson, ami et mentor de Thoreau, achète un terrain autour de l’étang de Walden (localisé à Concord, dans le Massachusetts aux États-Unis) et le met à sa disposition. Thoreau souhaite en effet se retirer au calme pour écrire mais il ne demeure pas toujours seul. De nombreux amis (dont William Ellery Channing qui séjourne avec lui à l’automne 1845) ainsi que des admirateurs lui rendent souvent visite. D’après Michel Granger, Thoreau fait une retraite à Walden Pond car il a cherché à disparaître momentanément de la vie de Concord, sa ville natale. Il a en effet mis le feu par inadvertance à une partie de la forêt voisine. D’autre part et outre cette volonté de redevenir respectable, « la plus forte motivation de Thoreau était de nature historique : il voulait reconstituer sa « demeure dans l’état où elle était il y a trois siècles » avant l’irruption de l’homme blanc sur le sol américain ». Toutefois, selon Leo Stoller, c’est un profond dégoût pour la société des hommes, et particulièrement pour les habitants de Concord, qui conduit Thoreau à « refuser leur existence occupée à poursuivre la subsistance quotidienne, pervertissant de fait leur liberté dans le désespoir ». Le choix de Thoreau se porte donc sur l’étang de Walden, car il constitue un lieu ni trop à l’écart ni trop proche du monde des hommes. De plus, il en connaît l’existence depuis son enfance et ce lieu demeure pour lui un lieu mystérieux. Il se retire donc dans une clairière sur les rives de l’étang, « lieu intermédiaire à la fois emmuré » (Walled-in selon son expression) et suffisamment vaste pour qu’il dispose d’une marge protectrice, mais ne soit pas pour autant séparé de la nature par une barrière. Dans cet espace (baptisé en sa mémoire Thoreau’s Cove), remarque Michel Granger, « l’humain et le non-humain s’y interpénètrent » et le lieu est propice aux personnifications romantiques (ainsi les aiguilles de pin, par exemple, se dilatent pour lui témoigner leur sympathie lorsqu’il s’y installe).

La Désobéissance civile

C’est seulement en 1849, dans Résistance au gouvernement civil, intitulé ultérieurement, de façon posthume, La Désobéissance civile (Civil Disobedience), que Thoreau met par écrit ses positions politiques et idéologiques. Prenant comme point de départ son incarcération de courte durée pour avoir refusé de payer l’impôt, il y prône la résistance passive en tant que moyen de protestation. Cet engagement passif se situe d’abord sur le plan individuel selon lui : « La seule obligation qui m’incombe est de faire en tout temps ce que j’estime juste » explique-t-il. Il y proclame son refus de soutenir le gouvernement américain, qui tolère l’esclavagisme et mène une guerre de conquête au Mexique, contre tous les droits individuels et contre toute morale. L’essai eut une grande influence sur deux personnalités de la non-violence : le Mahatma Gandhi et Martin Luther King, et, de façon générale sur tous les courants de résistance, y compris au Danemark, durant la Seconde Guerre mondiale, alors sous la domination nazie.

Le Journal

Le Journal est un ouvrage élaboré durant vingt ans, du 22 octobre 1837, sur la suggestion de Ralph Waldo Emerson, au 3 novembre 1861 et s’étalant sur quatorze volumes. Thoreau, qui l’intitule in petto le « calendrier des marées de l’âme » y rassemble notes, poèmes, comptes rendus, états d’âme, herborisations, réflexions morales ou politiques, tous matériaux nourrissant ses autres ouvrages ; pour Gilles Farcet il « est sans doute le seul travail auquel il se consacra régulièrement, presque tous les jours de sa vie ». Selon François Specq, « le journal de Thoreau est d’un genre singulier : loin d’un journal intime voué à analyser les tours et détours de la personnalité de l’individu, il s’est donné pour unique objet […] d’explorer la nature des environs de Concord, Massachusetts ».

Les Forêts du Maine et autres récits de voyage

Dans Les Forêts du Maine, Henry David Thoreau a rassemblé les récits des voyages qu’il a faits dans les forêts du nord-est des États-Unis en 1846, 1853 et 1857. Il y décrit le mont Ktaadn de façon romantique et étudie la manière de vivre des pionniers et des Indiens. L’ensemble de ces ouvrages témoigne d’une connaissance botanique et naturaliste fine et éclairée, même si la vision de la nature y est toujours personnifiée ou idéalisée comme le montre le critique Roderick Nash, dans Wilderness and the American Mind. L’activité de naturaliste qui a occupé une grande partie de la dernière décennie de l’écrivain, même si celui-ci n’a pu en assembler les matériaux avant sa mort, y est très présente. Dans l’appendice des Forêts du Maine Thoreau liste des noms de plantes, d’arbres ou d’oiseaux, et relève des mots en langue algonquine, faisant par là, avant l’heure, œuvre d’ethnologue.

Le recueil Wild Apples and Other Natural History Essays est une édition moderne des divers essais que Thoreau a consacré à la nature pendant une vingtaine d’années précédemment publiés sous le titre Excursions (en 1962) et rassemblant les essais : Natural History of Massachusetts, A Walk to Wachusett, A Winter Walk, Walking (traduit en français sous le titre De la marche), The Succession of Forest Trees, Autumnal Tints, Wild Apples et Night and Moonlight. Thoreau s’y dévoile comme étant un véritable scientifique, étudiant scrupuleusement les phénomènes naturels.

Enfin Cape Cod publié en 1865 compile impressions naturalistes et étude de la faune et de la flore de la péninsule de ce nom où Thoreau se rendit par trois fois. À ces textes il faut ajouter, selon Michel Granger, les quelque 7 000 pages du Journal qui, à partir du début des années 1850 recueillent ses observations de la nature selon une approche de plus en plus empirique.

Aspects littéraires

Thoreau est un auteur protéiforme. Walden ou la Vie dans les bois est ainsi à la croisée de plusieurs genres littéraires (essai et roman mais aussi autobiographie) ; c’est un « patchwork textuel » proche de la robinsonnade), qui alterne avec la description, la narration, et même avec l’épopée ; la vision du combat de fourmis comparées à des guerriers antiques en est un exemple. Michel Granger parle d’« écologie littéraire » dont Thoreau est véritablement le père. Le mélange d’essais, d’observations et de passages poétiques, désigné en littérature américaine sous le mot de « nature writing », en fait par conséquent le précurseur du genre des romans naturalistes mais aussi des manuels d’art de vivre.

D’un point de vue stylistique, Thoreau maîtrise les ressorts de la langue américaine. Utilisant le contraste entre l’élément primitif propre à la nature (wilderness : le « sauvage » au sens d’espace vierge), et l’élément technique, propre à la société (tameness : le « domestique »), il a souvent recours à l’étymologie et aux métaphores organiques, les plus proches des phénomènes naturels. Les textes de Thoreau sont souvent parsemés de passages poétiques, soit de sa confection, soit emprunté à d’illustres poètes. Cette prose travaillée devient pour Thoreau « un instrument poétique supérieur » qui lui permet de suggérer la diversité des phénomènes naturels, par la musicalité et parfois les onomatopées. La fonction des poèmes est aussi d’obliger le lecteur à faire une pause, afin d’ouvrir un temps nécessaire à la méditation. En dépit de ce rythme poétique, la pensée de Thoreau est très vive, toujours en mouvement, didactique et érudite, faites d’accumulation d’expressions frappantes et de paradoxes surtout, telle la citation très connue : « le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins ». Les aphorismes que la conscience collective retient en effet sont souvent paradoxaux et percutants. Son souci est en effet d’établir les « fondements d’une expression vraie ».

Conceptions philosophiques

Accusé souvent de misanthropie, Thoreau prône un art de vivre fondé sur l’écoute de soi, ce qu’il nomme le « matin intérieur », proche d’un état d’innocence. Pour Michel Granger, il est possible que Thoreau soit devenu solitaire en raison de sa responsabilité dans la destruction accidentelle par incendie d’une partie de la forêt de Concord, incident qui lui a valu la critique des autres habitants. Il décide en effet de s’installer à Walden juste après cet événement et dès lors il fait de la solitude une « bonne compagnie ». Demeurer seul permet non seulement d’étudier la nature mais aussi et surtout de s’émerveiller ; en effet pour Gilles Farcet, « Thoreau est naïf en ceci qu’il n’a rien perdu de son aptitude à l’émerveillement ». Célibataire toute sa vie durant, cet état d’ermite ne l’empêche pas d’avoir des sentiments philanthropiques puisqu’il défend, avec empathie et sensibilité pour l’humanité souffrante, l’abolitionnisme et aide des esclaves à gagner leur liberté au Canada.

Un rapport « transcendental » à la Nature

La référence éthique à la nature traverse toutes ses œuvres, à tel point que Michel Granger parle, reliant cette adoration quelque peu naïve parfois aux éléments biographiques de l’écrivain, d’une « sublimation compensatrice » envers sa mère. Thoreau montre constamment « que la distinction humain/non-humain, fondée sur des préjugés, est bien ténue ; dans sa vision, la nature s’humanise, tandis que l’homme valorisé se naturalise ». Il insiste ainsi sur le « caractère thérapeutique de la nature » qui lui fournit aussi une sécurité affective, notamment dans sa relation avec la femme. Cette proximité intime avec la nature, quasi personnifiée, lui permet de lutter contre toute tentation charnelle et l’aide à demeurer lié au réel. De cette position, Thoreau entrevoit une nouvelle éthique qui lui permettrait de « se laver de la souillure pour aller vers la spiritualité en commençant par reconnaître le corps nié, réconcilier le « divin et la brute » » en somme. Cette éthique est une synthèse plutôt qu’une rupture totale et misanthrope ; s’affichant comme « un promeneur oisif au pays de l’éthique protestante du travail, insistant sur la primauté du loisir et de la contemplation », Thoreau ambitionne de créer une raison qui « prétend aussi régenter, avec la même sûreté et un égal bonheur le champ de ce que l’on appelait naguère encore la vie morale. » Cette éthique thoreauvienne est marquée par son puritanisme et s’affiche comme une véritable foi puisque le « narrateur de Walden est profondément convaincu de l’omniprésence de la morale au cœur de toute existence ».

Philosophie des sciences naturelles et de l’écologie

Thoreau a une intuition marquée des préoccupations qui seront exprimées dans les sciences naturelles cent ans après lui. L’amour de la nature constitue sa source permanente d’inspiration dans ses épanchements littéraires, mais sa fascination pour les phénomènes naturels, en géologie, hydrologie, météorologie, et plus particulièrement en botanique, s’accompagne aussi d’un souci d’exactitude dans ses descriptions, et de tentatives ou d’ébauches d’explications rationnelles. Le regard poétique et l’intérêt “scientifique” pour la nature de Thoreau lui ont acquis des lecteurs, pour ses excursions en canot et ses randonnées dans les bois, parmi les “amoureux de la nature”. Mais comme son appréciation de la vie dans la nature est également combinée à une attitude critique par rapport à la société de production et de consommation industrielle, on peut le situer aux origines de la mouvance des mouvements écologistes. Selon Donald Worster « les sentiments envers la nature exprimés par Thoreau dans ces volumes constituent son legs le plus important aux générations futures ».

Les ouvrages de sciences naturelles sont des lectures de choix pour Thoreau: à Harvard il prend connaissance du traité physico-théologique de William Smellie, The Philosophy of Natural History, et par la suite il lit divers ouvrages de botanique, dont le Plants of Boston and Vicinity de Bigelowe. Ses modèles dans le domaine sont Gilbert White et Carl von Linné, puis Alexander von Humboldt. Vers la fin de sa vie, il découvre et adopte la nouvelle théorie de l’évolution des espèces de Charles Darwin, par l’intermédiaire de Étienne Geoffroy Saint-Hilaire.

Ses propositions, notamment lors de la conférence sur La Succession des arbres (conférence donnée à l’exposition bovine de la Middlesex Agricultural Society) en font également un protecteur de l’environnement. En effet, déjà à cette époque l’homme réduit les espaces boisés : en 1880, il ne restait plus que 40 % de terres boisées dans le Massachusetts. Thoreau avertit ses concitoyens de ce danger et milite en faveur d’une utilisation rationnelle des ressources et de la protection de la faune et de la florenote. Thoreau se passionne ainsi pour l’écologie de la graine et, à force d’observations attentives, découvre que les écureuils, en transportant loin les graines, permettent de renouveler les espèces d’arbres. Par son désir de retrouver la forêt primitive, Thoreau appartient sans conteste à « la tradition arcadienne de la pensée écologique ». « Sa biographie et son œuvre donnent un exemple parfait de l’attitude romantique envers la terre et de la philosophie de plus en plus complexe et sophistiquée de l’écologie. Thoreau constitue une remarquable source d’inspiration et de référence pour l’activisme subversif du mouvement écologique actuel » explique Donald Worster.

L’environnement exige le plus grand respect, puisqu’un philosophe s’en nourrit. Mais toutes les richesses de la nature ne pourront jamais suppléer aux lacunes des hommes, et une approche strictement matérialiste de la nature est stérile. Ainsi, Thoreau critique dans un de ses premiers essais, intitulé Le Paradis à (re)conquérir, la promesse d’un ingénieur allemand selon qui l’exploitation des énergies du vent, des marées et du soleil, (les énergies éoliennes, solaires et marémotrices) permettrait rapidement un règne d’abondance et de confort pour tous, et ce avec peu d’effort. Il est illusoire de croire que le monde peut s’améliorer tant que les hommes eux-mêmes ne changeront pas, soutient-il.

La société aveugle à l’aune des besoins humains

Peu après l’expérience de Walden, Thoreau publie le texte d’une conférence, « La vie gaspillée » qui forme l’essai publié en 1854 de La Vie sans principe. Dans ce texte, il attaque vivement l’économie et la société industrielle. Il réaffirme les valeurs éthiques liées à l’individualisme contre celles véhiculées par l’État. Il dit ainsi dans La Désobéissance civile : « Je pense que nous devons être des hommes, des sujets ensuite ». Il ne voit face à cet envahissement de la sphère privée que deux solutions : la désobéissance civile d’une part, l’usage de la force d’autre part, possibilité qu’il n’évoque néanmoins que timidement. En ce sens, Thoreau a été considéré, par toute une frange des penseurs modernes de cette pensée, comme un anarchiste. Comme le rappelle Guillaume Villeneuve « l’ambition de Thoreau est spirituelle, soucieuse de transformation intérieure : l’ennemi est en nous, non à l’extérieur. La violence doit d’abord s’exercer sur nous […] ».

La notion de non-violence chez Thoreau

Face aux autorités esclavagistes, qui ont des visées expansionnistes dans la guerre contre le Mexique au Texas, et arrêtent Anthony Burns à Boston en vertu de la loi sur les esclaves fugitifs, Thoreau prône la non-participation aux injustices des gouvernements, et la non-collaboration avec leurs institutions. Ces idées étaient soutenues depuis des années par le courant abolitionniste mené par Garrison. Cependant, la résistance au gouvernement de Thoreau était strictement basée sur la constatation de son caractère « injuste », et non sur des principes chrétiens de « non-résistance » (ni sur l’analyse de la violence faite par les pacifistes). Dans The Service, Thoreau critique les attitudes de passivité prêchées par ces doctrines de non-résistance et plaide pour tenter de construire la Paix non par « la rouille sur nos épées ou notre incapacité à les tirer de leur fourreau », mais plutôt en « s’attelant sérieusement à la tâche qui nous attend ».

Thoreau a exprimé quelques réflexions sur la non-violence dans son journal : il écrit que « le soldat est un héros dégénéré », « un individu prêt à tuer ou être tué est bon pour [être envoyé dans] un hôpital de fous », etc. Mais son idéal de la justice était nourri de l’histoire des patriotes de la Guerre d’Indépendance et de personnages de l’antiquité, et il a exalté le courage et le dévouement de John Brown en 1859 parce que, personnellement, il voyait de manière favorable une action armée et violente “héroïque” pour faire disparaitre l’esclavage. Thoreau a peut-être changé d’avis sur la non-violence au cours de sa vie, comme beaucoup d’autres personnes durant la longue bataille contre l’esclavage. Mais en réalité il ne mentionne le sujet dans ses essais que pour l’effleurer, comme par souci de simplicité et pour laisser place à « d’autres intérêts », si ce n’est par indifférence.

Le fait que Thoreau soit parfois associé à la non-violence peut s’expliquer par une assimilation étroite de cette notion avec celle de la non-cooperation (en), une interprétation erronée de sa dénonciation de la guerre du Mexique comme une opposition à la guerre comme telle plutôt que contre l’expansion de l’esclavage au Texas, ainsi que la traduction et la distribution de son essai la Désobéissance civile par Gandhi, – tandis que les divergences d’opinion entre Thoreau et les tenants de la non-violence à son époque, les (abolitionnistes) non-résistants, sont méconnues.

Lecteurs et admirateurs de Thoreau

Thoreau représente l’un des héros de l’« américanité » et « son nom fait partie du bagage culturel minimum de l’Américain moyen qui en connaît quelques expressions ou préceptes célèbres ».

Au sein de la pensée politique ou éthique, Thoreau a influencé nombre de personnalités tels : Murray Rothbard, Albert Jay Nock ou John Rawls. L’anecdote du refus de payer l’impôt et le concept de « désobéissance civile » ont ainsi servi de base de réflexion à l’auteur de Théorie de la justice.

Le rayonnement de Thoreau a également été utilisé par l’écologie politique. L’expression de « désobéissance civile » est en effet reprise par les paysans du Larzac et par José Bové mais en mouvement plus violent. Des études modernes, dont celles de Lawrence Buell (The Environmental Imagination : Thoreau, Nature Writing and the Formation of American Culture, 199595) ont montré l’actualité de la pensée de Thoreau à ce propos, pensée qui nourrit jusqu’à l’écologie profonde, l’environnementalisme et le monde libertaire, celui de Murray Bookchin et de Paul Goodman. Ainsi, dans L’écologie technophobe de Thoreau, 11e volume de Contre-histoire de la philosophie, le philosophe Michel Onfray dévoile en quoi les tenants de l’écologie peuvent se réclamer de l’héritage intellectuel de Thoreau.

Les études scientifiques menées par Thoreau ont été réévaluées dans les années 1980 et ont été reconnues comme scientifiquement valables en limnologie et en phénologie explique Michel Granger. Thoreau marque également l’histoire du courant végétarien en considérant ce mode de vie comme un idéal de purification à atteindre même s’il ne semble pas avoir lui-même assidûment pratiqué ce régime. François Duban évoque l’influence moderne de Thoreau sur les politiques environnementales, dans L’écologisme aux États-Unis (2000). Sa philosophie serait ainsi à l’origine de l’aménagement du territoire américain pour Michel Granger. Pour François Specq la contribution de Thoreau à la naissance de l’idée de parc national, aux États-Unis, est réelle et date de 1858, dans le chapitre « Chesuncook » des Forêts du Maine (1864).

Littérature

En littérature, Walden inspira William Butler Yeats, le grand poète nationaliste irlandais, qui y fait référence dans son poème The Lake Isle of Innisfree dans le recueil The Countess Kathleen and Various Legends and Lyrics publié en 1893. Romain Rolland, qui parle de l’œuvre de Thoreau comme étant la « Bible du grand Individualisme » qui projetait une traduction qu’il abandonna, y fait référence dans sa Vie de Vivekanandanote. Le romancier Robert Louis Stevenson, bien qu’irrité par la philosophie de Thoreau, reconnaît l’influence de son style. L’auteur de Walden est en effet pour lui un « maître du style » (« master of style »). Jean Giono s’inspire lui du concept de désobéissance civile dans Refus d’obéissance.

Léon Tolstoï découvrit l’essai de Thoreau La Désobéissance civile en 1894 grâce à un journal anglais ; il le traduisit en russe83. Thoreau a inspiré d’autres personnalités du monde des arts et des lettres comme Henry Miller, Edward Abbey (Down the River with Henry Thoreau, 1984), Willa Cather (O Pioneers!, 1913), Marcel Proust, qui dit, à propos de passages de Walden, « comme si on les lisait à l’intérieur de soi-même, tellement plus qu’ils ne proviennent des profondeurs de notre expérience intime », mais aussi Sinclair Lewis (The American Adam, 1959), Ernest Hemingway ou encore Elwyn Brooks White. L’architecte Frank Lloyd Wright explique que « l’architecture moderne américaine serait incomplète sans la sage observation du sujet élaborée par Thoreau. » L’influence de Thoreau et de Walden en particulier sur les écrivains écologistes concerne : John Burroughs, John Muir, E.O. Wilson, Edwin Way Teale, Joseph Wood Krutch, Rick Bass (son roman Winter, publié en 1999, est organisé de manière semblable à Walden) ou encore les poètes Seyhan Kurt, Kenneth White. Jim Harrison revendique également la paternité littéraire de Walden.

Walden a également directement inspiré plusieurs œuvres littéraires. En 1948, le psychologue béhavioriste Burrhus Frederic Skinner écrit un roman à thèse, Walden Two, dans lequel il imagine une communauté expérimentale utopique (experimental community) basée sur les idées de Thoreau. L’auteur suédois Stig Dagerman cite les noms de Thoreau et de Walden dans son essai Notre besoin de consolation est impossible à rassasier publié en 1952. Le photographe américain Ian Marshall a également écrit un livre de haïkus intitulé Walden by haiku (2009) dans lequel il s’arrête sur plusieurs citations de Thoreau.

L’écrivain américain de science-fiction James Patrick Kelly décrit dans son roman Fournaise une société utopique implantée sur un monde nommé Walden afin d’y pratiquer le retour à la terre, et, d’une manière plus générale, à la Simplicité (un mouvement philosophique s’opposant aux bouleversements introduits par la technologie).

Musique

En musique, Charles Edward Ives a intitulé « Henry David Thoreau » le quatrième mouvement de sa Concord Sonata qui est un hommage aux écrivains transcendantalistes. Son essai, Essay before a Sonata témoigne par ailleurs en quoi Walden est une profonde source d’inspiration pour lui et explique pourquoi Thoreau donne une importance fondamentale à la musique de la nature notamment lorsqu’il dit dans son Journal : « Il y a de la musique dans chaque son ». Enfin, le compositeur John Cage considère Thoreau comme son maître et, s’inspirant de son rythme poétique, il a composé Empty words (1973–1974) et 40 drawings by Thoreau.

En septembre 2018, l’auteur-compositeur-interprète québécois Richard Séguin lance un album concept, “De retour à Walden”, inspiré de la vie et de l’œuvre de Thoreau. Jorane, Élage Diouf et Normand D’Amour participent également au projet.

Le compositeur Loïc Guénin compose un cycle de pièces mixtes intitulées WALDEN [..un lieu..]. Adoptant la posture et s’inspirant de la pensée de Thoreau, il écrit des partitions graphiques en travaillant à partir de l’architecture formelle, sociale et sonore des lieux qui lui passent commande. Il a également imaginé une installation-composition en construisant une cabane qu’il pose dans le paysage, invitant le public à adopter une pleine écoute.

Cinéma et télévision

L’œuvre de Thoreau est évoquée dans de nombreux films tels que : Tout ce que le ciel permet (1955), Madame croque-maris (1964), Into the Wild de Sean Penn (2007), The Great Debaters (2007) et aussi dans des séries à la télévision telles que : Dawson (Dawson’s creek) (saison 4 épisode 10), Young Americans (saison 1 épisode 3), Les Experts (saison 7 épisode 20), Numb3rs (saison 3 épisode 7). Des passages de Walden sont cités à l’ouverture de chaque réunion secrète des membres du Cercle des poètes disparus (Dead Poets Society) dans le film homonyme de Peter Weir (1989), comme la célèbre citation « sucer toute la moelle secrète de la vie » et notamment la scène où il est annoncé que le secret de la vie est de saisir le jour (carpediem).

Dans Walden. Diaries, Notes, and Sketches (1969) le réalisateur d’origine lituanienne Jonas Mekas élabore un journal sous forme filmographique, de 43 minutes.

Le second film du réalisateur américain Shane Carruth, Upstream Color (2013) contient de nombreuses références à Walden ou la Vie dans les bois avec lequel les personnages entretiennent un rapport privilégié. Le film s’inspire également du transcendantalisme.

Page Wikipédia complète