S’il y a bien des sujets qui questionnent, qui inquiètent, à l’égard du primitivisme, c’est bien la médecine, le confort et la technique. C’est bien normal : personne n’a envie de galérer, de mettre sa vie en danger, ou de se sentir mal.
S’inspirer des sociétés dites primitives revient-il à renoncer à la médecine, au confort et à la technique ?
Nous allons aborder chacun de ces 3 sujets au cas par cas.
Médecine : aux maux naturels, remèdes naturels.
Définition : science qui a pour objet la conservation et le rétablissement de la santé ; art de prévenir et de soigner les maladies de l’homme.
Les soins médicaux et l’auto-médication sont des pratiques instinctives chez les humains comme chez les animaux.
La zoopharmacognosie est un comportement d’auto-médication propre à certains animaux qui se montrent capables de trouver et ingérer des molécules naturelles médicamenteuses ou psychotropes, dans le but de lutter contre des parasitoses, des maladies infectieuses ou les effets nocifs de toxines alimentaires.
C’est le cas pour les insectes, les singes, les éléphants, les rongeurs, les oiseaux. Par exemple, les grands singes consomment souvent des plantes pour des raisons médicinales et non nutritives pour la régulation de l’acidité du système digestif ou contre les parasites intestinaux, ou encore certains animaux consomment de l’argile en interne ou en externe.
Dans le monde végétal, les plantes réagissent lorsqu’elles sont attaquées par des pathogènes. Sans aller jusqu’à parler de médecine puisqu’il s’agit directement de leur système immunitaire, elles disposent de moyens de défense et de répulsion très efficaces, comme l’épaississement des parois, le suicide des cellules agressées afin de priver le pathogène de la nourriture et enfin, réveiller des gènes de défense. Fortes de ces expériences, elles s’immunisent et toutes leurs cellules deviennent capables de réagir plus efficacement en cas de récidive.
Chez les humains, avant que nous ne soyons coupés de notre instinct, les maladies que nous connaissons n’existaient pas car leurs causes n’existaient pas (alimentation dénaturée, conditions sanitaires, pollution, stress, hausse démographique et concentration humaine entraînant la prolifération des microbes, manque d’activité physique, mauvaise qualité de l’eau, mauvaise hygiène…) : cela élimine donc un bon nombre de soins et techniques médicales qui n’étaient pas nécessaires.
Les maladies liées au style de vie ou maladies de civilisation sont définies comme des maladies liées à la façon dont les gens vivent leur vie. La fréquence d’apparition de ces maladies semble augmenter au fur et à mesure que les pays deviennent plus industrialisés et que les gens vivent plus longtemps. Elles sont souvent dues à une mauvaise alimentation, à la consommation d’alcool, de tabac, de drogue, ainsi qu’à un manque d’activité physique. Les maladies liées au mode de vie sont les maladies cardiovasculaires, l’accident vasculaire cérébral, le cancer, l’obésité et le diabète de type, mais également la maladie d’Alzheimer, la démence vasculaire, les varices, les hémorroïdes, la thrombose veineuse, l’hypertension, l’arthrose, l’arthrite et la goutte, l’athérosclérose, l’asthme, l’hépatite et la cirrhose, la lithiase biliaire, la diverticulose, l’appendicite, la hernie hiatale, la maladie de Crohn, la bronchopneumopathie chronique obstructive, le syndrome métabolique, l’insuffisance rénale chronique, l’ostéoporose, la dépression, les caries et l’acné.
Maladies liées au mode de vie – Wikipédia
Le fait que les descendants des immigrants de pays pauvres ont les mêmes taux de maladies que les autochtones de leur pays de destination indique que ces maladies ne sont pas liées à des facteurs génétiques mais bien à des facteurs environnementaux.
Chez les peuples chasseurs-cueilleurs, l’alimentation n’est pas clairement séparée de la médication : consommer une plante, une racine, un fruit, une sève, une écorce ou tout autre végétal sert à répondre à ses besoins et à s’apporter des substances dont les effets bénéfiques peuvent être préventifs ou curatifs : on n’attend pas d’avoir un dysfonctionnement pour avoir un “bon terrain”.
La pharmacopée naturelle peut servir en cas de blessures, plaies, piqûres, empoisonnement, troubles digestifs, pour éloigner les insectes et moustiques, pour la contraception naturelle, pour l’avortement naturel…
La connaissance des plantes médicinales s’acquiert par transmission orale, par l’observation chez les animaux, et aussi par des moyens de communication qui nous échappent encore – voir la thèse de l’anthropologue Jérémy Narby sur la transmission du savoir par les plantes hallucinogènes.
Les peuples ruraux sédentaires ont gardé cette bonne connaissance des plantes qui les entourent et savent en tirer parti pour soigner.
Tout ce qui se rapporte à la “maladie” n’est pas différencié du “mal”, et son explication ne répond pas à une causalité strictement mécanique : il y a aussi (et surtout) une causalité mystique qui requiert des méthodes de guérison appropriées, opérées par un chaman, médium, guérisseur, soit une personne qui est capable de se connecter à une dimension profonde de l’être où se tapissent les causes de ce mal.
Le chamanisme étant universel chez les peuples autochtones, nous pouvons supposer que les ancêtres préhistoriques des Européens furent également chamans et que, peut-être, les arts rupestres étaient relatifs à des activités de type chamanique.
Nous pouvons également évoquer la roue de médecine, et les huttes de sudation.
La hutte à sudation, tradition héritée des croyances animistes des premiers autochtones, consistait en une cérémonie qui se pratiquait dans une tente et dont le principe reposait sur la sudation. Il s’agissait d’un remède que les autochtones utilisaient pour chanter et prier ensemble, se purifier, préserver leur santé et prévenir les maladies.
Par ailleurs, Lucien Lévy-Bruhl a mis en avant chez les primitifs un “raisonnement prélogique” dans le traitement des maux : par exemple, en cas d’empoisonnement avec une flèche enduite de poison, ils vont en priorité traiter la pointe de la flèche (en l’enveloppant d’un certain type de feuilles) de manière à ce que l’inflammation soit faible et se guérisse vite.
Confort : nous recherchons tous le bien-être mais le confort est une notion relative : c’est une question de rapport au monde, d’habitude et d’adaptation
Définition : ce qui contribue au bien-être, à la commodité de la vie matérielle.
Cette notion est très relative et dynamique selon l’époque, l’âge, les personnes, les sensibilités.
Tous les êtres vivants recherchent naturellement l’agréable et rejettent le non-agréable.
Généralement, nous les occidentaux associons le confort aux choses suivantes :
– des conditions salubres : pas d’insalubrité dans la nature et dans les habitats semi-nomades faits de matériaux bruts
– le chauffage : le climat favorable pour l’être humain est équatorial : chaud et humide, mais avec le dérèglement de l’homéostasie (nous y reviendrons) certaines populations se sont adaptées à d’autres climats. Les chasseurs-cueilleurs adaptés au climat froid témoignent de l’utilisation de peaux animales pour se protéger du froid. Néanmoins les principes de thermorégulation humaine ne sont pas encore totalement élucidés, cf. le yoga Toumo ou encore Wim Hof. Les igloos sont construits de manière à avoir une bonne température. La chaleur humaine semble être très utilisée pour dormir, chez les peuples primitifs (on dort tous ensemble – ceci est pratiquée même chez les sédentaires pendant longtemps, encore aujourd’hui dans certaines cultures) et la domestication du feu (puis les cheminées) apportent un nouveau moyen de réchauffage.
– l’eau chaude : utilisée pour se laver, et la vaisselle : il n’y a pas de vaisselle chez les chasseurs-cueilleurs. Dans les régions équatoriales, ils se lavent (baignent) dans des points d’eau. L’eau est à bonne température. Nous savons aussi qu’il existe des sources chaudes près desquelles les chasseurs cueilleurs peuvent s’établir. Ils peuvent aussi frotter leur peau avec de l’argile. Il est bon d’ajouter que les odeurs corporelles dépendent en majeure partie de l’alimentation, et du port de vêtements.
– espace d’intimité : le fait de vivre essentiellement dans la nature et non dans un espace confiné garantit à chacun de l’espace, tout le monde n’est pas collé les uns aux autres sauf, me semble-t-il, pour dormir.
– une bonne literie : le physiologique passe avant le confort : nous savons que les matelas trop mous, par exemple, ne sont pas bons pour le dos. En occident, de plus en plus de personnes optent pour le couchage à même le sol pour soulager des problèmes dorsaux. Les oreillers mal adaptés peuvent favoriser des désalignements de la colonne et de la nuque, ou encore des ronflements.
Les premiers lits (8000 av. J.-C.) n’étaient guère plus que des tas de paille ou d’autre matière naturelle (par exemple, tas de feuilles de palmier, peaux parfois emplies d’eau pour s’isoler de la terre froide) posés à même le sol. L’étymologie du mot lit dérive d’ailleurs du verbe latin legere, amasser, entasser.
– le fait de disposer de tout ce dont on a besoin : la notion de “besoin” est très discutable. Il y a les vrais besoins (fondamentaux) et les faux besoins (ce que l’on croit être indispensable mais qui ne l’est pas). Les faux besoins ont tendance à reléguer les vrais besoins au second plan, par exemple le besoin d’avoir une télé supplante le besoin d’échanges humains, d’affection. A l’état naturel on remplit ses vrais besoins sur tous les plans, et les faux besoins n’apparaissent pas. Marshall Sahlins a démontré dans Âge de Pierre âge d’Abondance que l’économie primitive est une économie d’abondance et non de survie/manque.
– facilité d’utilisation de l’eau : les peuples chasseurs cueilleurs répondent à leur besoin en eau par leur alimentation riche en eau, et vivent près de sources d’eau. Ils ont également bonne connaissance des lacs souterrains dont l’eau ne s’épuise pas, tel que le lac souterrain du Souffle du Dragon bien connu des San. Le concept d'”eaux usées” n’existe pas chez eux car d’aucun moyen ils ne peuvent “polluer” l’eau.
– toilettes : les excréments et l’urine sont directement extériorisés dans la nature, sans intermédiaire, et font partie intégrante de l’écosystème (participe par exemple à la dissémination de graines, à la composition de l’humus ou encore à la chaîne alimentaire des animaux coprophages).
– appareils ménagers : inutile de préciser que les appareils ménagers n’ont pas lieu d’être.
La plupart des critères de “confort” sont des réponses à des inconforts qui n’existent pas à l’origine. Le reste est une question d’adaptation et de renforcement.
Technique
La technique inclut les objets, outils, et le savoir-faire.
La technique existe chez autant chez les humains que chez les animaux. Sans parler de la technique inhérente du monde végétal : d’ailleurs Jérémy Narby a écrit un excellent livre sur l’intelligence de la nature.
La construction d’abri / habitation est instinctif : les nids, les ruches, les fourmilières, les terriers, sont autant d’habitats demandant une certaine technique de construction. Ils sont faits à partir de matériaux bruts et organiques (cires, feuillages, herbes, écorces, branchages…). De même, les constructions humaines naturelles donc semi-nomades sont des huttes, tentes, cases, fabriquées à partir de matériaux bruts et organiques, pouvant comprendre des peaux animales.
Elles demandent une technicité émanant de l’intelligence directe pour répondre à un besoin, dans la prise en compte de l’environnement et des ressources disponibles. Elles s’élaborent en peu de temps et ne nécessitent pas l’intervention d’experts, techniciens, spécialistes.
La technique sert également à la prédation : il n’y a qu’à voir la technicité des toiles d’araignées pour l’admettre chez les animaux. Les humains fabriquent des outils pour chasser, tels que des arcs, flèches, lances ainsi que des pièges : taillage d’os, de pierres, de bois, usage de fibres végétales…
La technique sert également :
– pour confectionner des objets à fonction symbolique : totem, masque… têtes réduites…
– pour se parer : pagnes, colliers, couronnes, pigments…
– pour la préparation de substances : ayahuasca…
– pour la musique : instruments…
– pour jouer : jeux
Conclusion
La médecine, le confort et la technique font donc partie intégrante de la vie sauvage, si nous les replaçons dans le bon contexte. Ils ne sont bien sûr pas perçus comme tels par les peuples primitifs puisqu’ils n’ont pas les mots pour nommer ces concepts. Les besoins naturels ne sont évidemment pas les mêmes que les besoins illusoires qui ont émergé aussi bien à partir du néolithique qu’à partir de la révolution industrielle et l’électrification. Ils font partie d’un “tout”, d’un ensemble cohérent et ne nuisent pas à l’équilibre général, n’apportent pas de nouveaux problèmes comme c’est le cas dans notre médecine, notre confort et notre développement technique et industriel.
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