L’autoéducation : comment les enfants chasseurs-cueilleurs apprennent sans les écoles

Pendant des centaines de milliers d’années jusqu’au temps où l’agriculture a été inventée (il y a à peu près 10 000 ans), nous étions tous des chasseurs-cueilleurs. Nos instincts humains, incluant tous ces moyens instinctifs par lesquels nous apprenons sont apparu dans le cadre de cette façon de vivre. Alors je pose la question : Comment les enfants chasseurs-cueilleurs apprennent ce qu’ils ont besoin pour devenir des adultes efficaces dans leur propre culture ?

Dans la dernière moitié du vingtième siècle, les anthropologues ont localisé et observé de nombreux groupes de personnes (dans les coins reculés de l’Afrique, de l’Asie, l’Australie, la Nouvelle Guinée, l’Amérique du Sud et ailleurs) qui ont maintenu une vie de chasse et de collecte sans être trop affecté par les moyens modernes. Bien que chaque groupe étudié ait son propre langage et des traditions culturelles qui lui sont propres, il a été découvert que les divers groupes étaient similaires dans de nombreuses démarches basiques, ce qui nous permet de parler d’une « façon de vivre à la chasseur-cueilleur » au singulier. Où que nous les trouvions, les chasseurs-cueilleurs vivaient dans de petits groupes nomades (autour de 25 à 50 personnes par groupe), prenaient des décisions démocratiquement, avaient un système éthique centré sur des valeurs et le partage égalitaire et avaient des traditions culturelles riches qui incluaient la musique, l’art, les jeux, les danses et des histoires ancestrales.

Il y a quelques années, pour complémenter ce que nous avons trouvé dans la littérature d’anthropologie, Jonathan Ogas (alors un étudiant diplômé) et moi-même avons contacté un certain nombre d’anthropologues qui avaient vécu parmi les chasseurs-cueilleurs et leur avons demandé de répondre par écrit à un questionnaire concernant leurs observations de la vie des enfants. Neuf de ces chercheurs ont répondu aimablement à notre questionnaire. À eux tous, ils avaient étudié six cultures différentes de chasseurs-cueilleurs, trois en Afrique, une en Malaisie, une aux Philippines et une en Nouvelle Guinée.

Ce que j’ai appris de mes lectures et de notre questionnaire était l’homogénéité surprenante de ces cultures. Je vais résumer ici quatre conclusions, qui je pense sont les plus pertinentes en relation à l’autoéducation. Puisque je souhaiterais que vous visualisiez ces pratiques comme se produisant maintenant, j’utiliserais le temps présent pour les décrire, même si les pratiques et les cultures elles-mêmes ont été largement détruite dans les années récentes par les intrusions du monde « plus développé » autour d’eux.


1. L’enfant chasseur-cueilleur doit apprendre énormément de choses pour devenir un adulte prospère.

Ce serait une erreur de penser que l’éducation n’est pas un sujet important pour les chasseurs-cueilleurs car ils n’ont pas grand-chose à apprendre. En réalité, ils doivent apprendre un grand nombre de choses.
Pour devenir des chasseurs efficaces, les garçons doivent apprendre les habitudes de deux à trois cents différentes espèces de mammifères et oiseaux que le groupe peut chasser, doivent savoir comment pister de tel gibier en utilisant le moindre indice. Ils doivent être capable de confectionner parfaitement les outils pour la chasse tels que les arcs et les flèches, des sarbacanes et des fléchettes, des collets ou les filets pour tendre des pièges, et doivent être extraordinairement apte à utiliser ces outils.

Pour devenir des cueilleurs efficaces, les filles doivent apprendre lesquels des variétés incalculable de racines, tubercules, noix, graines, fruits et légumes dans leur milieu sont comestibles et nutritifs, quand et ou les trouver, comment les creuser (dans le cas des racines et des tubercules), comment en extraire efficacement les portions comestibles (dans le cas des céréales, noix et de certaines plantes fibreuses) et dans certains cas comment les transformer pour les rendre comestible ou en augmenter leurs valeurs nutritives. Ces capacités incluent des aptitudes physiques perfectionnées par des années de pratique, aussi bien que l’aptitude à se souvenir, utiliser, combiner et modifier les réserves culturelles énormes partagées par une connaissance orale au sujet de la nourriture.

En addition, l’enfant chasseur-cueilleur doit apprendre à naviguer dans leur territoire énorme d’approvisionnement, construire des huttes, faire des feux, cuisiner, repousser les prédateurs, prédire les changements du temps, soigner les blessures et les maladies, aider aux naissances, prendre soin des nourrissons, maintenir une harmonie au sein de leur groupe, négocier avec les groupes voisins, raconter des histoires, faire de la musique et s’engager dans un nombre varié de danses et de rituels de leur culture. Puisqu’il y a très peu de spécialisation autre que les hommes sont les chasseurs et les femmes les cueilleurs, chaque personne doit acquérir une large fraction de la totalité des connaissances et aptitudes de leur culture.

2. L’enfant apprend tout sans que cela lui soit enseigné.

Bien que l’enfant chasseur-cueilleur doive apprendre en très grande quantité, les chasseurs-cueilleurs n’ont rien qui ne ressemble à l’école. Les adultes n’établissent pas un programme ou ne tentent pas de motiver l’enfant à apprendre, lui donner des leçons, ou surveiller les progrès de l’enfant. Quand l’on demande comment les enfants apprennent ce qu’ils ont besoin de savoir, les adultes chasseurs-cueilleurs répondent invariablement avec des mots qui signifient essentiellement : « Ils apprennent eux-même à travers leurs observations, leurs jeux et leurs explorations. » Occasionnellement un adulte peut offrir un mot de conseil ou faire la démonstration de comment faire quelque chose un peu mieux, tel que comment sculpter une tête de flèche, mais une telle aide est donnée seulement quand l’enfant le désir clairement. Les adultes n’initient, ne dirigent ou n’interfèrent pas avec les activités des enfants. Les adultes ne montrent aucun signe de leurs inquiétudes pour l’éducation de leurs enfants, des millénaires d’expérience leur ont prouvé que les enfants sont des experts pour s’éduquer eux-mêmes. [1]

3. L’enfant dispose d’une quantité de temps énorme pour jouer et explorer.

En réponse à nos questions sur combien de temps l’enfant avait pour jouer, les anthropologues que nous avons sondé étaient unanimes en indiquant que les enfants chasseurs-cueilleurs qui ont été observé étaient libres de jouer la plupart si ce n’est toute la journée, chaque jour. Les réponses typiques sont les suivantes :

  • « L’enfant (Batek) était libre de jouer pratiquement toute la journée, personne n’attend de l’enfant un travail sérieux avant qu’ils aient plus d’une dizaine d’années. » (Karen Endicott)
  • « Les filles comme les garçons » (parmi les Nharo) avaient pratiquement tous les jours entiers libres pour jouer. » (Alan Barnard)
  • « Les garçons (Efé) étaient libre de jouer pratiquement tout le temps jusqu’à l’âge de 15 à 17 ans, les filles passaient la plupart de la journée, entre quelques commissions et un peu de garde des nourrissons, à jouer. » (Robert Bailey)
  • « Les enfants (!Kung) jouaient de l’aube au coucher. » (Nancy Howell)

La liberté que l’enfant chasseur-cueilleur joui pour poursuivre ses propres intérêts vient, entre autre, de la compréhension des adultes que de telles poursuites est le chemin le plus sûr pour l’éducation. Il vient aussi de l’esprit général d’égalitarisme et d’autonomie personnelle qui imprègne les cultures chasseur-cueilleur et qui s’applique aussi bien aux enfants qu’aux adultes [2]. Les adultes chasseurs-cueilleurs voient leurs enfants comme des individus complets avec des droits comparables à ceux des adultes. Leur supposition est que la volonté de l’enfant, par leur propre accord, commencera à contribuer à l’économie du groupe quand ils seront prêts sur le plan du développement à le faire. Il n’y a pas besoin de faire faire aux enfants ou à qui que ce soit ce qu’ils ne veulent pas faire. C’est remarquable de penser que notre instinct d’apprentissage et de contribution à la communauté évolue dans un monde dans lequel nos instincts sont ouvert à la confiance.

4. L’enfant observe les activités des adultes et intègre ces activités dans leurs jeux.

L’enfant chasseur-cueilleur n’est jamais isolé des activités de l’adulte. Ils observent directement tout ce qui se passe dans le camp, les préparations pour les déplacements, la construction des huttes, la fabrication et l’entretien des outils et autres objets, la préparation de la nourriture et la cuisine, l’allaitement et le soin des petits enfants, les précautions prisent contre les prédateurs et les maladies, les potins et les discussions, les querelles et les opinions, les danses et les festivités. Ils accompagnent parfois les adultes sur les voyages de collecte de nourriture et à l’âge d’environ dix ans, les garçons commencent parfois à accompagner les hommes à la chasse.

L’enfant ne fait pas qu’observer toutes ces activités, mais il les intègre aussi dans leurs jeux, et à travers ceux-ci, ils deviennent compétents dans ces activités. Tandis qu’ils grandissent, leurs jeux deviennent graduellement une activité réelle. Il n’y a pas une division nette entre la participation par le jeu et la véritable participation dans les activités valorisées par le groupe.

Par exemple, les garçons qui vont un jour jouer à la chasse aux papillons avec leurs petits arcs et flèches vont un jour plus tard, jouer à la chasse aux petits mammifères en en ramenant certain à la maison pour manger et quelques jours plus tard rejoindre les hommes sur de véritables chasses, toujours dans l’esprit du jeu. Un autre exemple pour les garçons comme les filles est de prendre l’habitude de jouer à construire des huttes inspiré par les vraies huttes que leurs parents construisent. Dans sa réponse à notre questionnaire, Nancy Howell a montré que les enfants !Kung construisent généralement un village entier de huttes pour jouer à quelques mètres du véritable village. Le village de jeu sert alors d’aire de jeux qui leur permet de se comporter de plusieurs manières en écho aux scènes qu’ils observent chez les adultes.

Les personnes interrogées par notre sondage réfèrent aussi à de nombreux exemples d’activités d’adulte valorisées qui sont imités régulièrement dans le jeu de l’enfant. Creuser des racines, pécher, enfumer les porcs-épics pour les faire sortir de leur cache, cuisiner, soigner les petits enfants, escalader les arbres, construire des échelles de plantes, utiliser les couteaux et autres outils, faire des outils, porter des charges très lourdes, construire des radeaux, faire des feux, se défendre contre les attaques des prédateurs, imiter les animaux (un moyen pour identifier les animaux et d’apprendre leurs habitudes), faire de la musique, danser, raconter des histoires et débattre oralement sont tous mentionnés par une ou plusieurs personnes sondées. Comme tous ces jeux prennent place dans un environnement où les âges sont mixés, les plus petits enfants apprennent constamment des plus vieux.

Personne n’a à dire ou à encourager l’enfant à faire tout cela. Ils le font naturellement parce que, comme les enfants partout ailleurs, il n’y a rien que désir plus un enfant que de grandir et d’être comme les adultes prospères qu’ils voient autour d’eux. Le désir de grandir est une motivation puissante qui se mélange avec les pulsions de jeu et d’exploration qui assure que l’enfant, si on lui donne la chance, pratiquera sans fin les aptitudes dont ils ont besoin pour les développer et devenir un adulte efficace.

Quelle pertinence pourrait avoir ces observations pour l’éducation dans notre culture ?

Notre culture est bien sûr très différente des cultures chasseurs-cueilleurs. Vous pourriez bien douter que les leçons à propos de l’éducation que nous apprenons des chasseurs-cueilleurs puissent être appliqué efficacement dans notre culture aujourd’hui. Pour commencer, les chasseurs-cueilleurs n’ont pas la lecture, l’écriture ou l’arithmétique et peut-être que naturellement, l’apprentissage par des moyens auto motivé ne fonctionne pas pour apprendre ces trois disciplines.

Dans notre culture, contrairement aux cultures de chasseurs-cueilleurs il y a une quantité incalculable de moyens pour gagner sa vie, une quantité incroyable de techniques, de capacités, d’aptitudes et de connaissances qu’un enfant pourrait acquérir et il est impossible pour l’enfant dans leur vie quotidienne d’observer toutes les activités et compétences des adultes directement. Dans notre culture, contrairement aux cultures de chasse et de cueillette, les enfants sont largement séparés du monde du travail des adultes, ce qui réduit leurs opportunités de voir ce que font les adultes et d’incorporer ces activités dans leurs jeux.

Notes:
1 Y. Gosso et al. (2005), “Play in hunter-gatherer societies.” In A. D. Pellegrini & P. K. Smith (Eds.), The nature of play: great apes and humans. New York: Guilford.
2 S. Kent (1996), “Cultural diversity among African foragers: causes and implications.” In S. Kent (Ed.), Cultural diversity among twentieth-century foragers: an African perspective. Cambridge, England: Cambridge University Press.

Par Peter Gray.
Source : http://www.psychologytoday.com/blog/freedom-learn/200808/children-educate-themselves-iii-the-wisdom-hunter-gatherers

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