Les médias sociaux contribuent-ils à la participation politique ? (2/2)

Les médias sociaux contribuent-ils à la participation politique ?

Peter Dahlgren, dans son article « Web et participation politique : quelles promesses et quels pièges ? » paru dans la revue Question de communication (2012), s’intéresse au rôle d’Internet dans l’investissement citoyen à la démocratie. À l’aide d’études sociologiques sur le trafic et le contenu numérique, il tente d’apporter une lumière sur la problématique suivante : les médias sociaux contribuent-ils à la participation politique ? La réponse n’est pas simple, puisqu’elle est ambivalente.
Dans un premier temps, nous expliquerons en quoi effectivement les médias sociaux peuvent contribuer, de par le terrain d’expression et d’échanges qu’ils offrent, à la participation des citoyens à la sphère politique, et prendre part aux débats et enjeux qui les concernent. Dans un second temps, nous verrons les limites de ce point de vue, et les illusions de liberté auxquelles il laisse croire.

Espace d’expression individuel et collectif indéniable, Internet est un outil mis au service des citoyens bien plus démocratique que la télévision où la transmission est unilatérale, en ce sens où elle permet une interaction : l’utilisateur devient acteur, il n’est plus spectateur de programmes imposés. Chacun peut partager ses opinions, ses idées et ses revendications et gagner en visibilité et reconnaissance. La parole se libère et contribue à la création de communautés d’idées aussi variées les unes que les autres, qui ne se limitent plus aux grands partis. Les personnalités politiques sont aussi présentes sur les médias sociaux, ce qui les rendent relativement accessibles aux utilisateurs, notamment sur Twitter. Régulièrement, des tweets sont mis en avant et peuvent avoir de grandes répercussions sur les débats publics sous l’effet boule de neige. La population dispose donc d’un nouveau moyen de communication direct à l’égard de la classe politique et du gouvernement, chose qui n’était pas envisageable à l’ère télévisuelle. Ce sentiment de proximité est d’autant plus fort grâce aux contenus d’apparence plus privés des personnalités politiques, telles que des photos de famille ou du quotidien, jouant au foot ou au basket…

Durant le confinement, les visioconférences à domicile étaient de vigueur, ce qui apportait une dimension conviviale et intimiste contrastant avec les cadres habituels plus formels. Les médias sociaux brisent la glace entre citoyens et sphère politique. Des communautés Discord auraient fortement contribué à l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis. Les hashtags permettent également de lancer des mouvements sociaux à portée politico-judiciaire comme ce fut le cas pour #balancetonporc, #metoo, ou pour l’affaire Mila. Les scandales éclatent plus facilement et font couler plus d’encre, comme l’affaire Matzneff ou encore Epstein. Les réseaux sociaux agissent comme un haut-parleur lorsque l’opinion abonde dans un même sens. Ils ont joué un rôle important dans le lancement du mouvement des Gilets Jaunes en novembre 2018, ont facilité l’organisation des manifestations et montré les actions militantes sous d’autres angles que les médias télévisuels. Comme nous évoquions précédemment, les mèmes sont des nouveaux modes d’expression intéressants pour véhiculer des idées, et qui peuvent avoir un impact important sur les opinions. Toutes ces raisons peuvent laisser penser que les médias sociaux contribuent largement à la participation politique, et que leur effet est globalement positif sur la démocratie.

Toutefois, certains auteurs tels que Mozorov (2011) avancent que les technologies numériques ne participent pas à démocratiser le monde, mais qu’au contraire, qu’elles aident les régimes politiques autoritaires à contrôler l’opposition et brider les citoyens. De ce point vue, Nicholas Carr (2010) quant à lui suggère qu’elles atrophient la pensée et la mémoire, affaiblissant ainsi les bases même de la civilisation. Les médias sociaux collectivisent les opinions et n’échappent pas aux principes de la psychologie sociale, entre autre la tendance à la normalisation. Les likes et pouces bleus sont des signaux sociaux d’approbation qui encouragent ou non certains propos, et répondent d’un côté au besoin d’être validé par les autres, de l’autre au besoin de soutenir un propos pour lequel nous sommes d’accord. Ainsi, selon la force de conviction et le courage d’opinion de chacun, ces signaux sociaux influenceront ceux qui craignent le rejet. La surabondance de messages et de contenus peut générer des propos qui parasitent le débat public de par un manque de pertinence ou de responsabilité. Les « fake news » et sites parodiques sont autant de nuisances mettant en branle la réflexion politique éclairée des utilisateurs, ainsi que les montages et fausses citations, facilités par les logiciels de montage. Il devient de plus en plus compliqué de discerner le vrai du faux ; les médias sociaux alimentent une confusion généralisée.
Ils sont également un outil de radicalisation. Peter Dahlgren dans son article évoque le néologisme « solosphère » qui désigne la tendance à se regrouper entre semblables, et donc à se communautariser et s’isoler des autres, cet « entre soi » qui limite la confrontation d’idées. Cette tendance peut s’avérer clivante à l’échelle de la société, et attiser les tensions. D’ailleurs, les médias sociaux exercent une politique de censure plus ou moins restrictive selon les pays, lorsque les contenus sont jugés “racistes”, “xénophobes”, “homophobes”, “antisémites”, “sexistes”. Les victimes de cette censure, généralement issus de groupes identitaires et traditionalistes, dénoncent le « deux poids deux mesures » dans la liberté d’expression, lorsqu’il s’agit de s’opposer aux dérives progressistes et libertaires. Ce muselage peut aller jusqu’à la sanction pénale.

Une partie de l’opinion est volontairement invisibilisée pour motif d’assurer une forme de paix sociale respectueuse des minorités. Cela peut aussi être perçu comme une manière de contrôler l’opposition incarnée par les traditionalistes, conservateurs, patriotes, royalistes, identitaires, classés du côté de « l’extrême-droite ». L’extrême-gauche anarchiste représente également une opposition fortement hostile au gouvernement et à l’Etat. La censure et le bannissement des réseaux pour délit d’opinion sont-ils véritablement démocratiques ? Notons tout de même que, selon Mathew Hindman (2009), seulement 0,10% du trafic sur Internet est tourné vers les sites politiques, contre 10% vers les sites pornographiques. On peut facilement en conclure que la majorité ne se préoccupe pas vraiment des problèmes politiques et ainsi relativiser la contribution des médias sociaux à ce domaine.

Pour conclure, l’espace numérique offre davantage de moyens de participation à la sphère politique, mais en même temps, tend à uniformiser, sinon à radicaliser les communautés. En prime, il invisibilise certaines opinions jugées dérangeantes. Il canalise l’énergie revendicatrice et militante tout en l’excitant par sollicitation permanente et en attisant les tensions. Chaque opinion peut se trouver noyer dans la masse ; le charisme et la créativité permet alors de tirer son épingle du jeu et se faire entendre davantage.

Pour ma part, je pense que les médias sociaux sont devenus un outil majeur au service de la participation politique, libérateur de la parole pour ceux qui prennent la peine de s’y consacrer, mais qu’ils ne sont pas exempts de manipulation politique pour contrôler l’opposition. De plus, les « influenceurs » ne sont pas forcément les plus instruits. En tout cas, les recherches sur la question ne manquent pas pour tenter d’éclaircir cette question complexe dont les enjeux sont considérables sur l’avenir de la politique.

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