Mythes d’émergence : l’humanité sortie de terre

Voici un petit compte rendu d’une conférence de Jean-Loïc Le Quellec, intitulée “Retrouver les mythes de la Préhistoire ?”, tenue dans l’amphithéâtre Jean Rouch au Musée de l’Homme le 12 octobre 2016. Jean-Loïc Le Quellec est un anthropologue français né le 9 octobre 1951 qui a écrit de nombreux ouvrages, entre autre, sur l’art rupestre et les mythes. À cette occasion, il expose le déroulé et les résultats de ses recherches dont l’objectif est de retrouver les premiers mythes préhistoriques.

Cela m’a particulièrement marquée, c’est pourquoi j’ai souhaité vous en faire part à travers ce travail. Par souci de respect pour son travail, je vous invite à vous rapprocher de ses écrits et conférences directement pour avoir accès aux cartes et graphiques dont il est l’auteur.

Une enquête pour retrouver les mythes préhistoriques

Cette conférence porte donc sur une recherche anthropologique des mythes du paléolithique, en s’appuyant sur une étude des mythes sur tous les continents, ainsi que des grottes ornées. Partant du consensus selon lequel les images préhistoriques sont liées aux mythes, Jean-Loïc Le Quellec s’appuie sur ces vestiges pour tenter, faute de traces écrites, de trouver des réponses probantes sur les représentations psychiques des premiers humains. Plus de la moitié de ces dessins représentent des animaux et des humains, tandis que 48% sont des signes, c’est-à-dire des symboles méconnaissables à l’heure actuelle pour les chercheurs.

Élaboration d’une base de données des grottes ornées et des mythes anthropogoniques

Grotte de Lascaux

En raison de l’absence d’une base de données accessible au public répertoriant les grottes ornées, Jean-Loïc Le Quellec a œuvré à l’élaboration de sa propre base de données dans laquelle il en a répertorié environ 400, dont une grande partie est concentrée au sud-ouest de la France.

Puis, il s’est mis à chercher des légendes localisées, liées aux grottes. Pour cela, il fallait s’intéresser aux mythes stables, ceux qui ne se promènent pas, en l’occurrence ceux qui concernent la vie, la mort : les mythes anthropogoniques. Il a répertorié 1209 mythes anthropogoniques, parmi lesquels nous trouvons :

– des mythes d’émergence (l’homme est sorti de terre)
– des mythes de coroplastie (l’homme est pétri avec de l’agile, et reçoit le souffle divin)
– des mythes du corps souillé (le diable souille les créatures argileuses de dieu, et celui-ci ne parvenant pas à les nettoyer, retourne l’argile de sorte que les souillures se retrouvent à l’intérieur)
– des mythes de création d’origine céleste
– des mythes de création d’origine végétale
– des mythes du plongeon créateur (généralement : eau primordiale, oiseau aquatique plongeant au fond de l’eau pour remonter de la terre)
– des mythes d’émergence des animaux aussi…

Focus sur les mythes d’émergence

Entrée d’un gouffre

Parmi ces mythes répertoriés, 439 relatent des récits d’émergence. Ces mythes expliquent que tous les êtres vivants au commencement vivaient sous la surface de la terre et qu’ils en sont sortis un jour, par une grotte ou un trou dans le sol.

A ce titre, il montre en guise d’exemple une photo prise au Botswana d’un endroit avec des cailloux et une petite cavité à gauche, que les locaux considèrent comme étant l’origine des premiers humains. Les pierres qui figurent sur la photographie présentent des reliefs ressemblant à des marques de doigts : selon eux, il s’agit de l’appui des doigts des premiers humains à l’époque où les roches étaient encore molles, lorsqu’ils se sont extirpés du sol. Les Hopi pensent également que l’humanité est sortie d’un trou du sol et s’est dispersée dans le monde, avec des creux dans la pierre qu’ils considèrent comme étant des traces de pas.

La carte de répartition mondiale des mythes d’émergence montre qu’ils sont majoritairement répandus en Afrique subsaharienne, en Amérique et dans une moindre mesure, dans le monde indopacifique, tandis qu’ils sont quasiment absents en Eurasie (malgré la présence de grottes ornées en France). Au contraire, les mythes du plongeon créateur se répartissent principalement dans le septentrion. L’explication archétypale de leur origine (théorie jungienne) doit être rejetée en raison du fait que ces mythes ne sont pas universels, sinon ils auraient été répartis de manière aléatoire. Le mythe originel semble s’être modifié avec les écotypes (modification du conteur lors de la redite, en raison de la subjectivité ou d’une adaptation au public).

Origine et diffusion du mythe originel d’émergence

Au vu de la répartition géographique de chaque type de mythe, en tenant compte des migrations humaines, le mythe d’émergence proviendrait d’Afrique australe par nos premiers ancêtres dont les Sans sont génétiquement les plus proches, puis se serait répandu en Eurasie après la sortie d’Afrique des Homo sapiens, et serait passé dans le Nouveau Monde probablement par les Proto-Amérindiens, où il se serait propagé sur tout le continent jusqu’au sud. Quant au mythe du plongeon créateur, apparu en Eurasie, il aurait remplacé le premier mythe dans la moitié nord de l’Ancien Monde, avant de se diffuser en Amérique du Nord sans trop toucher l’Amérique du Sud. Certains récits racontent que l’émergence survint après l’épisode diluvial (en Inde, en Turquie, en Amérique du Nord, en Mésoamérique, en Amérique du Sud…) mais en Afrique, les mythes ne mentionnent pas d’épisode apocalyptique.

Proportion des différents mythèmes

7 mythèmes ont plus de 50% de probabilité d’avoir fait partie des premières versions du mythe, à savoir :

– émergence des animaux (98,7 %)
– émergence des humains (99,8 %)
– la sortie s’opère directement du sol (99,3 %)
– c’est une femme qui sort en premier (53,4 %)
– une partie des humains est restée sous terre (51,9 %)
– l’émergence explique l’origine de la mort (96,6 %)
– les marques rupestres témoignent de l’émergence (97,5 %).

Conclusion

En conclusion, d’après les déductions de Jean-Loïc Le Quellec, les versions les plus anciennes du mythe racontent que les humains et les animaux originels sont sortis directement d’un trou dans le sol, et que cette sortie fut la raison de la brièveté de l’existence. Le souterrain est le monde des défunts, ceux qui ne sont pas sortis du monde originel et ceux qui retournent sous terre à leur décès. Enfin, les marques rupestres sont interprétées comme des traces des premiers humains lorsqu’ils se sont hissés à la surface, au temps où les roches étaient encore molles.



Voici le lien vers la conférence que je vous recommande vivement d’écouter : “Retrouver les mythes de la Préhistoire ?” 01h08
Voici le document écrit de sa communication, duquel je me suis aidée et inspirée pour rédiger ce compte-rendu : Peut-on retrouver les mythes préhistoriques ? L’exemple des récits anthropogoniques [article]

Pour creuser la réflexion, j’invite toutes les personnes intéressées à prendre connaissance des recherches de Jean-Loïc Le Quellec, qui a préfacé le livre Cosmogonie – La préhistoire des mythes de Julien d’Huy sur ce sujet.

En espérant ne pas avoir travesti sa pensée et ses résultats ; en cas d’erreur je vous invite à me contacter.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*